samedi 24 novembre 2018

Blackout Comics : la grosse panne

Pour la dernière chronique de cette année, je vais aborder un petit éditeur indépendant du milieu des années quatre-vingt-dix. Peu d'informations circulent sur le sujet, d'autant moins en français, donc je vais faire avec les moyens du bord. Mais par la force des choses, cet article sera un peu plus court que de coutume.


L'INSTANT VO (What else ?)
Il ne reste plus grand-chose sur Blackout Comics, éditeur qui a vu le jour en 1994 dans le New Jersey. La seule affirmation qui ne souffre aucun doute, c'est que ses deux fondateurs se nomment Bruce Schoengood et Jack Giustiniani. Les deux sont de parfaits inconnus, à l'époque comme maintenant, et si l'on devait supputer un peu, histoire de meubler, on peut supposer qu'il s'agit de financiers qui ont essayé de surfer sur le succès que rencontrait le comics à ce moment-là. Succès factice, puisqu'il s'agissait avant tout d'une bulle spéculative, qui a fini par éclater quelques années plus tard.

Quoiqu'il en soit, leur aventure débute réellement en mai, avec la mini-série Outbreed 999. Futur désenchanté à destination d'un public un peu plus adulte que la cible traditionnelle du medium, la saga est prévue sur six numéros, mais seuls cinq verront le jour, sans que l'on n'obtienne jamais de justification quant à cette absence de conclusion. Il faut dire que l'histoire est signée Schoengood, qui, en plus de son boulot de manager qui ne semble pas l'accaparer outre mesure, occupe le poste de scénariste, ou au minimum de force créative, sur la quasi-totalité du catalogue de l'éditeur. Et le gars semble du genre à se disperser.

Du reste, l'amateurisme de Blackout est assez flagrant dès le début. La distribution se fait hors des canaux ordinaires, les revendeurs peinent à être livrés et les nouvelles séries annoncées n'arrivent pas. Ainsi, Exterminator - avec un titre comme ça, ça promet ! - est le premier projet mort-né d'une longue série. De même, Extreme Violet, lancée dans les pages d'Outbreed 999 avant d'obtenir sa propre série, est obligée de changer de titre pour devenir Extremes of Violet, suite à une anicroche juridique avec l'Extreme Studios de Rob Liefeld.
Extremes of Violet ne dure que le temps de deux numéros (plus un chapitre zéro), mais elle lance la thématique des bad girls qui fera les choux gras de l'éditeur. Les autres licences seront présentées de manière un peu différentes : il s'agira à chaque fois d'une succession de one-shots et/ou de numéros zéro, plus ou moins longue selon que la saga rencontre son public ou non. Ainsi, le duo Ms. Cyanide & Ice n'obtient qu'un prologue et un épisode standard (la différence est nulle en terme de pagination, c'est juste une accroche commerciale à une époque où les numéros spéciaux font fureur), tandis que Lady Vampré, une autre création de Bruce Schoengood, enquille sept opus.
La blague, c'est que l'histoire ne se suit pas forcément d'un épisode sur l'autre, et du reste, non seulement la promesse de sorties bimestrielles est rarement tenue, mais en outre, les équipes créatives ont du mal à rester en place. A ce propos, quasiment tous les scénaristes et les artistes travaillant pour Blackout sont de parfaits inconnus, pas toujours doués, et qui ne connaitront pour la plupart aucune carrière une fois l'aventure terminée. On retiendra éventuellement la couverture de The Death of Lady Vampré par Mike Mignola, mais on ne peut pas dire que les têtes d'affiche du comics se bousculent pour donner leur vision des personnages de Blackout.
La donne change un peu en cours d'année 1995. Tandis que les anti-héroïnes de l'éditeur se retrouvent pour une série d'épisodes logiquement intitulés Bad Girls of Blackout, une petite nouvelle entre au catalogue. Hari Kari sera le plus gros succès de Schoengood, et totalisera à elle seule quinze numéros. Tout est relatif, mais c'est à peine moins que ce que totalisent toutes les autres franchises parues jusque-là ! Hari Kari devient l'égérie de la firme, qui lui dédie entre autres choses plusieurs galeries d'illustrations, une version d'inspiration manga et même... un CD-Rom interactif contenant une histoire restée inédite ! Moderne !
L'histoire en question fera plus ou moins scandale, parce qu'elle présente le viol de son héroïne comme un évènement spectaculaire et excitant ! La communication est désastreuse et les lecteurs s'en émeuvent à juste titre, contraignant Blackout à rétropédaler et à présenter des excuses, non pour le récit en lui-même, mais pour la publicité qui en a été faite. Par contre, le personnage trouve non seulement son public mais aussi quelques artistes soucieux de le ré-imaginer à leur sauce. Ce sera le cas de Pat Quinn, Michael Avon Oeming, Joe Phillips, Tim Vigil, Jeff Moy ou encore du grand Gene Colan.
En fin d'année, Mike Baron intègre également les rangs de l'éditeur, chez qui il publie deux histoires sans lendemain : Jugular, une histoire de vampires ; et High Voltage, une satire brouillonne de la profession d'avocat, sauce super-héros. Pour le reste, on retrouve encore et toujours Bruce Schoengood, qui transforme la série d'arts martiaux Hong Kong, annoncée dans plusieurs fascicules, en un spin-off de Hari Kari basé sur sa Némésis : Tormentress. Les parutions se raréfient, et pourtant, Blackout semble avoir de grands projets.
Courant 1997 est en effet annoncée la création d'Indigo Studios, toujours par Bruce Schoengood et Jack Giustiniani. L'idée était d'en faire un label destiné à publier les creator-owned d'auteurs travaillant déjà pour l'éditeur. Pour la faire courte, les franchises ayant vu le jour jusque-là revenaient majoritairement à Schoengood, et c'est donc lui qui touchait les droits sur les produits dérivés. Les autres scénaristes et les dessinateurs n'étaient que ses "artisans". Là, sous l'impulsion de ce qui se faisait notamment chez Image Comics, ils auraient pu bénéficier complètement de leurs créations. Mais Indigo ne sera pas, finalement, et en début d'année 1998, Blackout disparait purement et simplement des rayons.
Nul doute que les financiers avaient retiré leurs billes avant de trop y perdre, noyés dans la masse d'une industrie devenue folle. De facto, le catalogue de Blackout n'a pas du tout intéressé les éditeurs français, et on peut les comprendre sur ce coup. A noter que je n'ai pas lu, car pas trouvé, quelques comics du studio : 
- en l'occurence Lady Vampré : in the Flesh, une nouvelle illustrée sur la reine vampire

Le bilan : 
A feuilleter à l'occasion
Death of Hari Kari #0 (the, 1997)
scénario : Tom VIRKAITIS
dessin : Jeremy CASTRO et Kenneth LILLY
Transportée dans le Japon féodal, Kari Sun y prend l'identité et les souvenirs de la fiancée de Hyun, un courageux samouraï parti affronter les démons qui ont pris possession du nord de l'archipel. Croyant l'aider, la jeune femme le rejoint dans sa quête mais pourrait bien causer sa perte... Troisième étape de la quête initiatique de l'héroïne imaginée par Bruce Schoengood, le récit de Tom Virkaitis prend des allures de contes asiatique, fortement inspiré par le Voyage vers l'Occident. Joliment illustré par Kenneth Lilly, l'épisode mérite le coup d'oeil, ne serait-ce que pour son étrange conclusion.

Hari Kari : the Beginning (aout 1996)
scénario : John ROBERTS
dessin : Tommy CASTILLO
Le clan du Dragon du Soleil a toujours été le gardien de l'ordre face aux démons qui cherchent à se libérer de leur malédiction éternelle. Transportée par magie au coeur du Japon médiéval, Kari Sun fait face aux onis envoyés par Saburi Saka, avec l'aide de son lointain aïeul, Toyo, premier du clan. Même s'il fait fi d'une bonne partie de ce qui s'est déroulé auparavant, ce nouvel épisode introductif a au moins le mérite de se montrer cohérent de bout en bout. Le synopsis de Josh Roberts est qui plus est intéressant, et les dessins de Tommy Castillo, plaisants à l'oeil.

Hari Kari Private Gallery #0 (janvier 1994, 4 épisodes)
dessin : collectif
Le Hari Kari Private Gallery #0 est un épisode spécial à travers lequel les artistes attitrés de Blackout Comics présentent des illustrations, pour la plupart suggestives, de l'héroïne créée par Bruce Schoengood. Ils sont pour l'occasion accompagnés par quelques guest-stars de renom. A peine la franchise a-t-elle vu le jour chez Blackout Comics qu'elle bénéficie déjà d'une galerie d'illustrations ! Le fait est que c'est probablement ce que la saga proposera de plus intéressant : la sensualité qui transpire de chaque planche, ou presque, rend un bel hommage aux courbes de l'héroïne.

1 commentaire:

  1. Je viens de lire les 5 issues de Outbreed 999 et je me rends compte que sur le issue #5 il est indiqué 5/6... Je ne connaitrait jamais la fin à mon grand désespoir mais j'aurai connu votre blog grâce à cela :) Bel article sur l'éditeur que je ne connaissais pas non plus. Merci

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