lundi 19 août 2019

Gorilla Comics, espèce menacée

Nouvel épisode de l'Instant VO, et celui-ci porte bien son nom puisque la structure éditoriale qui le concerne n'a duré qu'un instant à l'échelle du médium ! Et par conséquent, cet article lui-même ne durera qu'un instant... Mais tel un bon café, il s'agit d'un concentré de bonnes choses, à commencer par des grands noms : on y parlera de George Perez, de Kurt Busiek, de Mike Wieringo, de John Byrne... et des co-fondateurs d'Image Comics, bien entendu !


L'INSTANT VO (What else ?)
Et puis tiens, commençons par eux, ou plus exactement par celui qui me servira de trait d'union : Erik Larsen. Outre son statut de créateur et showrunner de l'une des séries super-héroïques les plus extraordinaires de tous les temps, le père Larsen est également connu dans le milieu pour ses prises de position très engagées, en politique notamment. Mais aussi lorsqu'il s'agit de parler du milieu lui-même, et notamment de certains de ses pairs. C'est le cas avant tout de John Byrne avec qui, sauf coup promotionnel spectaculaire, il ne passera pas ses vacances !

Il faut dire que Byrne, c'est un peu Larsen avant Larsen : superstar - et à juste titre - durant les années quatre-vingt, c'est aussi une grande gueule qui tire à boulets rouges sur tout ce qui le gène au sein du microcosme comics... et en particulier sur les co-fondateurs d'Image. La faute à leur audace qui frôle le sans-gêne, mais aussi, sans doute, à leur succès fulgurant qui éclipse, à l'orée de la décennie suivante, le sien. Sans être tout aussi virulents, nombreux sont les créateurs qui, devant le succès d'Image Comics, confient de manière plus ou moins discrète qu'ils regrettent cette ère du dessinateur-roi. Les éditeurs sont jetés aux oubliettes, est-ce un mal ? Mais quid des scénaristes ? Et même, que deviennent les artistes dont le style, un peu trop académique, ne correspond plus à la mode du "in your face" ?

C'est la question que se posent quelques vétérans qui, à l'approche du nouveau millénaire, peinent non seulement à séduire les fans d'Image, mais même à trouver du travail chez Marvel ou DC Comics. Neil Gaiman travaille avec Todd McFarlane avant de se fritter violemment avec lui, Chris Claremont collabore avec Jim Lee... George Perez, Barry Kitson, Tom Grummett, Mark Waid, Karl Kesel et Stuart Immonen sont eux aussi des monuments du comic-book, et pourtant, en 1999, leur oeuvre est considérée ringarde. Alors ils décident de s'organiser en studio et fondent Gorilla Comics, qui publiera ses ouvrages dès le début de l'année suivante... chez Image Comics ! Les deux premiers d'entre eux se nomment Shockrockets, par Kurt Busiek et Stuart Immonen, et Empire, par Mark Waid et Barry Kitson.
Le premier est un bijou de science-fiction en six épisodes, qui fait irrémédiablement penser à Robotech mais qui s'avère à la fois passionnant par ses rebondissements, et magnifique grâce aux illustrations magistrales de Stuart Immonen. En outre, le premier épisode de la mini-série s'accompagne d'une histoire courte qui sert de prologue à Empire, une histoire de super-vilains dont le parcours éditorial est plus chaotique : après deux épisodes seulement, le récit de Mark Waid disparait des écrans et ne réapparaitra que des années plus tard, chez DC Comics, lorsque ses auteurs réimpriment les deux opus sous la forme d'un épais numéro zéro, avant d'en continuer le récit pour six numéros supplémentaires.
Pour Crimson Plague, le troisième titre du studio, c'est un peu l'inverse : il a connu une première vie chez Event Comics avant que l'éditeur ne ferme ses portes. Quelques temps plus tard, George Perez importe et enrichit son one-shot avant d'en proposer une suite, mais décidément, la saga de la femme qui tue quand elle saigne - tel est le pitch ! - n'ira pas au-delà des deux épisodes, sur neuf prévus. Et là, pour le coup, on attend encore une éventuelle reprise. Toujours est-il que le premier volet contenait lui aussi le prologue d'une autre franchise de Gorilla, en l'occurrence Section Zero. Cette série de super-héros, qui rappelle un peu le Planetary de Warren Ellis, est l'oeuvre de Karl Kesel et Tom Grummett. Elle aussi s'achèvera assez vite, mais elle a depuis peu ressuscité sous un autre label, à savoir le Shadowline, Ink de Jim Valentino !
Pourquoi tant d'arrêts ? Tout simplement parce que la durée de vie de Gorilla excède à peine les six mois ! Entre avril 2000, date de parution du premier épisode de Shockrockets, et octobre de la même année, où voit le jour le dernier épisode de la mini-série, les plans des co-fondateurs du label s'écroulent. En effet, le modèle d'édition d'Image implique que les auteurs doivent financer la publication de leurs ouvrages, avant d'être remboursés sur les ventes. Or, Busiek, Perez, Waid et consorts espérer utiliser le site web eHero.com, qu'ils avaient mis en place parallèlement à leur ligne de comics, pour payer les frais. L'expérience est un échec, les gars s'endettent et, finalement, jettent l'éponge.
Et pourtant, on voit encore passer quelques comics estampillés Gorilla en 2001. C'est le cas de Superstar, à nouveau par le duo Busiek / Immonen. Une histoire de super-héros mâtinée de télé-réalité que ses auteurs décident de supporter sur leurs deniers personnels. Mais c'est aussi et surtout le cas de Tellos, un conte d'heroic-fantasy lancé par Todd DeZago et Mike Wieringo à la fin des années quatre-vingt-dix, en nom propre, et rattachée au studio des vétérans vers la fin de son run. C'était un joli coup, d'autant que la saga a connu son petit succès en son temps, mais cela ne suffira pas. Gorilla Comics ferme ses portes cette année-là, non sans avoir, malgré tout, remis un coup de projecteur sur ses auteurs, qui retrouveront assez vite des places intéressantes chez les majors.
L'aventure fut de courte durée, mais SEMIC s'est fait fort de traduire une très grande partie du catalogue : Shockrockets sous forme de fascicules, Empire dans la collection SEMIC Books, et Tellos sous les deux formats... Des années plus tard, c'est Glénat qui s'empare de Superstar, à l'occasion de la réimpression signée IDW Publishing. J'ai lu tout ce que l'éditeur a proposé.

Le bilan : 
A lire de toute urgence
Empire (mai 2000, 2 épisodes)
Paru en VF chez SEMIC, dans la collection SEMIC BOOKS
scénario : Mark WAID
dessin : Barry KITSON
Entouré des plus grands super-criminels de l'Histoire, le tyran Golgoth est devenu le maître du monde. Les super-héros ont été anéantis, mais dans les rangs du despote subsistent des poches de résistance. Il les maintient pour l'instant sous son joug grâce à une drogue de son invention. Entamée chez Image Comics, sous le label Gorilla Comics, puis transférée chez DC Comics, la série de Mark Waid s'affranchit des codes super-héroïques traditionnels et réinvente le genre avec brio en plaçant le focus sur les criminels. Barry Kitson et son traît classique y font merveille.

Shockrockets (avril 2000, 6 épisodes)
Paru en VF chez SEMIC, en trois fascicules kiosque
scénario : Kurt BUSIEK
dessin : Stuart IMMONEN
Simple mécanicien, le jeune Alejandro Cruz est témoin du crash de l'un des Shockrockets, élite de l'armée régulière en guerre contre le séparatiste Korda. Bien vite, l'adolescent finit par intégrer l'équipe, démontrant de grands talents de pilote. Mais son manque d'expérience pourrait lui nuire sous le feu ennemi. Avec un auteur aussi expérimenté que Kurt Busiek au scénario et un artiste aussi talentueux que Stuart Immonen, on pouvait s'attendre à une lecture passionnante. La mini-série répond parfaitement aux attentes, l'action trépidante le disputant aux dessins spectaculaires.

Tellos (mai 1999, 10 épisodes (dont 3 chez Gorilla) + 1 Prelude & 1 Prologue)
Paru en VF chez SEMIC, en cinq magazines kiosque
scénario : Todd DeZAGO
dessin : Mike WIERINGO
Véritable univers-patchwork, le monde de Tellos est désormais la proie des redoutables Spectres Sauteurs du cruel tyran Malesur. Le jeune Jarek et son ami, l'homme-tigre Koj, fuient les monstres et se retrouvent sur le navire volant d'une séduisante capitaine pirate au fort caractère. Le scénario de Todd Dezago, à la lisière entre le conte de fées et la classique histoire d'heroic-fantasy, ne pousse guère à se pencher sur cette maxi-série. Pourtant, les personnages sont rapidement attachants, et le dessin cartoony de Mike Wieringo est magnifique.

A feuilleter à l'occasion
Section Zero (juin 2000, 3 épisodes)
scénario : Karl KESEL
dessin : Tom GRUMMETT
Depuis des générations, les gouvernements du monde entier financent en secret la Section Zero, une unité de l'ONU chargée d'enquêter sur les phénomènes étranges. Mené par le docteur Titania Challenger, le groupe actuel est saboté sans le savoir par A.J. Keeler, un ancien membre de l'organisation qui fait désormais office de liaison avec les Nations Unies. On pensera assez facilement à la fabuleuse saga de Warren Ellis, Planetary, mais la mini-série de Karl Kesel est aussi et surtout un hommage aux débuts des Fantastic Four de Marvel Comics. Dessinée de manière très efficace par Tom Grummett, elle reste inachevée et c'est fort regrettable.

Superstar (2001)
Paru en VF chez Glénat, en recueil librairie
scénario : Kurt BUSIEK
dessin : Stuart IMMONEN
Grâce à l'empire médiatique de son père, Superstar est devenu une idole aux yeux du public. Ce qui tombe plutôt bien, puisque ce sont les dons d'énergie de la population qui lui permettent de demeurer le plus puissant des super-héros. Mais son ennemi de toujours, Robot Sapiens, va détourner son système d'approvisionnement en énergie pour contrôler télépathiquement les masses. Jouant plus sur le registre de la starisation à outrance que sur le modèle super-héroïque lui-même, Kurt Busiek ne va malheureusement pas au bout de ses idées. Cela est d'autant plus regrettable que Stuart Immonen le secondait à merveille, son trait classique se montrant comme toujours parfaitement solide.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire