samedi 19 mai 2018

Les petits François au pays de l'Oncle Sam

Même si elle ne représente qu'une infime portion des ventes outre-Atlantique, la bande dessinée française, ou au moins francophone, s'exporte au pays de l'Oncle Sam, et ce de bien des manières. On pourra par exemple citer le mythique magazine Métal Hurlant, qui a donné naissance au tout aussi réputé Heavy Metal. On pourra aussi penser aux artistes tricolores qui s'exportent chez les grands éditeurs américains, comme Olivier Coipel ou Stéphane Roux.
Les éditeurs aussi tentent leur chance aux Etats-Unis : les Humanoïdes Associés sont connus là-bas en tant que Humanoids (ils ont du reste entamé un partenariat, durant quelques temps, avec l'éditeur américain Devil's Due Publishing pour publier quelques bandes dessinées, hors super-héros ; ils ont aussi traduit Lucha Libre chez Image Comics), et plusieurs maisons d'édition françaises participent au projet Europe Comics, qui consiste à promouvoir la BD européenne à travers le monde.
Certains éditeurs américains se sont aussi mis à publier des oeuvres hexagonales. C'était le cas d'Archaia jusqu'à ce que la structure soit rachetée par Boom ! Studios, et c'est aussi le cas d'IDW Publishing, à travers sa branche Eurocomics. Plus ponctuellement, on peut aussi citer l'adaptation de XIII chez Alias Entertainment. Mais de manière globale, les tentatives de faire du comics, et en particulier du comics de super-héros, à la française, sont assez rares. Des Frenchies qui font du super-slip et qui publient le résultat aux USA, à ma connaissance, ça n'a pas souvent été tenté. Et c'est précisément ce que nous allons voir aujourd'hui.

L'INSTANT (presque) VO
Quand le géant scandinave SEMIC rachète les éditions lyonnaises Lug, il entre en situation de quasi-monopole concernant la traduction de comics en France, notamment grâce à une présence forte dans les kiosques. Mais en 1997, après avoir perdu le contrat qui le liait à Marvel Comics, SEMIC France peine à se renouveler. Rachetée par les éditions Tournon, la branche est confiée à Thierry Mornet, qui non seulement développe le catalogue de publications en provenance des Etats-Unis, mais imagine aussi une ligne de comics à la française.
C'est Jean-Marc Lofficier qui est en charge de cette ligne, qui remet à jour les personnages créés à l'époque des petits formats que proposait Lug en complément de ses magazines, Strange, Nova ou Titans notamment. Avec son épouse Randy, il va mettre au point une équipe de super-héros qui réunit quelques-unes de ces figures emblématiques, et qu'il appelle les Strangers, en hommage au magazine Strange. La saga dure six épisodes, qui seront repris quasiment tels quels (en dehors des back-up arrangées différemment) lors de la publication américaine, chez Image Comics.
Un peu avant, SEMIC avait déjà collaboré par deux fois avec Image, sur des histoires inédites du Tellos de Todd DeZago et Mike Wieringo, et pour la traduction en anglais du one-shot des Lofficier, Alone in the Dark, inspiré par le jeu vidéo éponyme. Et quelques temps plus tard, ils obtiendront également le droit d'utiliser Sara Pezzini, l'héroïne de la série Witchblade de Top Cow Productions, pour un crossover avec leur propre justicière, Sibilla. A peu près à la même époque, SEMIC produit aussi un album dédié à Spawn. Simony est scénarisé par Alex Nikolavitch, et dessiné par Aleksi Briclot.

On retrouvera ce même Briclot des années plus tard sur une nouvelle histoire de Spawn, Architects of Fear (les Architectes de la Peur en France), sur un scénario d'un Jean-François Porcherot sous pseudonyme. Cette fois-ci, c'est Delcourt qui est à la manoeuvre, l'éditeur parisien ayant récupéré une bonne partie du catalogue de SEMIC. D'ailleurs, c'est une nouvelle fois Thierry Mornet qui est à l'origine de l'ouvrage. C'est aussi lui qui va céder les droits d'adaptation de Bad Ass, un récit de Bruno Bessadi et Herik Hanna, à Dynamite Entertainment.
Le petit éditeur Indeez a également collaboré avec Image Comics pour adapter Hollywood Killer sous le titre One-Hit Wonder. Il y a quelques temps, enfin, les éditions grenobloises Glénat ont relancé leur activité comics, après une première tentative durant les années 80 à travers la collection Comics USA. Glénat Comics publie majoritairement des BD en provenance des Etats-Unis, parfois avec très peu de décalage (ça a été le cas avec la mini-série Hadrian's Wall grâce à un accord avec Image Comics).
Mais l'inverse est aussi vrai : Xavier Dorison signe, avec l'artiste américain Terry Dodson, la mini-série Red Skin, qui sera publiée par Glénat sous son label Grafica, puis traduite en anglais chez Image Comics sous le titre Red One. Dernièrement, l'éditeur a signé un partenariat avec IDW Publishing pour adapter plusieurs de ses bandes dessinées outre-Atlantique. Comme ce n'est pas encore tout à fait d'actualité, je n'aborderai pas plus le sujet, mais il n'est pas dit qu'un deuxième article consacré à ces frenchies qui s'exportent ne soit pas à l'ordre du jour...

J'en ai peut-être raté dans le lot, mais à priori, j'ai balayé assez large. On pourra aussi signaler la participation de Fabrice Sapolsky, co-créateur du magazine Comic Box, au projet Spider-Man : Noir chez Marvel Comics, mais on ne peut pas vraiment dire que ce soit une initiative française. Cette fois-ci, inutile de se demander si tout est sorti par chez nous ! De la même manière, il est bien évident que j'ai tout lu, certains de ces ouvrages étant du reste encore facilement trouvables dans toutes les bonnes librairies. Pour autant, rares sont ceux qui sortent du lot.

Le bilan : 
A lire de toute urgence
Red One : Welcome to America (mars 2015, 4 épisodes)
Paru d'abord en VF chez Glénat en deux volumes
scénario : Antoine CRISTAU et Xavier DORISON
dessin : Terry DODSON
Vera Yelnikov est la coqueluche de l'armée rouge. Pour les besoins d'une mission, elle doit partir aux Etats-Unis. Elle devient alors Red One, l'héroïne qui défend les minorités opprimées par le Charpentier et le groupe de fanatiques qui suit ses idéaux fascistes. Pour cette nouvelle co-production franco-américaine, Xavier Dorison adapte la très classique thématique super-héroïque à un univers original, tout en y instillant beaucoup d'humour. Quant à Terry Dodson, il magnifie chaque page grâce à la sensualité de son héroïne.

Spawn : Architects of Fear (février 2011)
Paru en VF au format graphic novel chez Delcourt, en novembre 2011
scénario : Todd McFARLANE et Jean-François PORCHEROT
dessin : Aleksi BRICLOT
Al Simmons est attiré dans un piège par l'ange architecte Ethan. Le Hellspawn va devoir sauver son frère d'un bâtiment capable de piéger les âmes des humains avant leur mort, afin qu'aucun camp n'en profite dans la guerre millénaire qui oppose le Ciel et l'Enfer. Deuxième projet franco-américain après Spawn : Simony, cette nouvelle aventure est bien plus agréable, notamment de par son scénario moins ethnocentré et plus spectaculaire. Aleksi Briclot est pour sa part fidèle à lui-même : splendide !

A feuilleter à l'occasion
Spawn : Simony (mars 2004)
Paru en VF au format graphic novel chez SEMIC, en juin 2003
scénario : Alex NIKOLAVITCH
dessin : Aleksi BRICLOT
Il semblerait que des Hellspawns aient été créés artificiellement à Paris. Que cela soit un fait avéré ou non, Al Simmons compte bien mener son enquête, attiré qu'il fût par la résonnance de son nécroplasme. C'est une bien sombre histoire que celle de ce Spawn à la française, due à un grand duo d'artistes. Alex Nikolavitch est un conteur intelligent, il est vrai bien accompagné par un Aleksi Briclot des grands jours. Malgré tout, le côté ethnocentré crée un certain décalage avec le reste de la franchise.

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