samedi 25 mars 2017

Le business-model de Rob Liefeld

Cette rubrique ayant pour vocation, à l'origine, de démontrer si besoin était que les éditeurs de comics en version française passent parfois à côté de pépites, je pensais arriver à trouver de la matière à chaque éditeur que j'abordais, mais me voici devant un contre-exemple. Un accident de parcours qui renvoie directement au tout premier article que j'ai écrit sur les comics VO.


L'INSTANT VO (What else ?)
Chapitre 2 : Maximum Press, parce que qui peut le plus peut le moins
Si Rob Liefeld est le premier des sept fondateurs d'Image Comics à avoir publié un titre sous cette nouvelle bannière, il est aussi celui qui cristalise, quasiment à lui seul, cette mauvaise impression que l'on a des années 90 en général, et de cet éditeur à cette période en particulier. Il faut dire que le père Liefeld est prolifique depuis qu'il est maître à bord de son studio. Très prolifique, même, et la quantité ne fait clairement pas la qualité, même si l'on a vu précédemment que tout n'était pas à jeter chez Extreme Studios.

Cependant, Liefeld estime que certains de ses titres ne correspondent pas au catalogue d'Image, à l'image, justement, que souhaite faire passer l'éditeur. Alors à peine quelques années après la fondation d'Extreme Studios, il monte Maximum Press dans le but de publier ces licences "annexes". La structure est totalement indépendante d'Image Comics, même si Liefeld en est le président. Les tout premiers comics qui en sortiront sont Black Flag et Warchild, et à première vue, on ne voit pas trop en quoi ils diffèrent de ce qu'Extreme balance sur les étals des comic-shops.

Du reste, la première apparition de Black Flag s'est faite chez Extreme, lors d'un one-shot repris quasiment tel quel dans le premier numéro de la nouvelle mini-série. Alors oui, OK, c'est assez violent, mais le côté grim'n'gritty était déjà l'apanage des majors à l'époque, et Black Flag n'est ni le pire, ni le meilleur du lot. Quant à Warchild, il s'agit d'une très mauvaise mini-série, mais elle aurait pu elle aussi s'inscrire dans la mouvance d'Extreme.
Dès lors, comment définir le catalogue Maximum Press ? Ce n'est pas sur ces deux-là que l'on peut appuyer notre réflexion, mais le titre suivant est plus parlant. Avengelyne pourrait être catégorisée sans trop de problème sous l'étiquette de bad girl, très à la mode à ce moment-là, mais elle a un petit truc en plus : une certaine forme de bigoterie qui va transpirer non seulement dans les nombreuses mini-séries et les tout aussi nombreux épisodes spéciaux consacrés à la belle, mais aussi dans plusieurs autres titres plus ou moins liés comme Passover, Devlin, Darkside ou Priest.
Les zélotes auraient-ils pris le pouvoir chez Maximum Press ? Pas vraiment. Même si Avengelyne enchaîne quatre mini-séries puis une série régulière, même si elle a droit à sa bible, son épisode en maillot de bain (son personnage étant inspiré par la playmate Cathy Christian), et des tartines de crossovers avec Glory, Prophet ou la Warrior Nun Areala d'Antarctic Press, l'ensemble de ses apparitions ne représente finalement qu'un petit tiers du catalogue de l'éditeur. Ce qui n'est pas négligeable, certes, mais on ne peut donc pas borner Maximum Press à une façade de prosélytisme religieux.

D'autant que les nouveautés sont nombreuses. Un mois après l'ange guerrière, Liefeld imagine son propre Wolverine, qu'il baptise Cybrid. Quelques temps plus tard, c'est son petit protégé, Marat Mychaels, qui signe l'atroce Law and Order. Bref, Maximum cherche à se diversifier, et l'acte le plus marquant en ce sens est la parution d'Asylum, une revue anthologique dans laquelle débutent, se poursuivent ou se terminent plusieurs des séries pré-citées. Mais Asylum, c'est plus que ça.
C'est aussi le gage d'une volonté de faire de la véritable édition. Là où Extreme ne produit quasiment que des oeuvres de Rob Liefeld, Maximum fait la part belle aux auteurs indépendants. On verra ainsi, dans les pages d'Asylum, Larry Marder raconter une nouvelle histoire de son Beanworld, ou Don Simpson reprendre la publication de son Megaton Man. Jim Krueger et Phil Hester dévoilent dans ces mêmes pages un prélude à leur nouvelle mini-série Foot Soldiers, qui verra finalement le jour chez Image Comics. Et au delà de cette anthologie, Maximum publie également les débuts de la saga Sisters of Mercy de No Mercy Comics, ceux de la Darkchylde de Randy Queen ou ceux de la Lady Pendragon de Matt Hawkins.

Mais le plus beau coup de la jeune structure, c'est d'obtenir les droits pour adapter sous forme de comics la légendaire série télévisée de science-fiction, Battlestar Galactica. C'est la série dite classique, la première, qui aura les honneurs de plusieurs mini-séries, ainsi que d'un passage dans la revue Asylum. Mais Battlestar Galactica est aussi un cadeau empoisonné, en quelque sorte. Car depuis ses débuts, Maximum Press est mal vue par certains des co-fondateurs d'Image Comics, qui voient en cette deuxième structure une certaine forme de traitrise de la part de Liefeld. A posteriori, cela peut prêter à sourire.
Mais du coup, le fait que Battlestar Galactica soit publiée là plutôt que sous le giron d'Image, c'est l'affront de trop. Après plusieurs mois de relations houleuses, Liefeld quitte Image et emporte avec lui son catalogue, qu'il rappatrie petit à petit chez Maximum. Glory est la première à poursuivre ses aventures sous sa nouvelle bannière, bientôt suivie par Supreme, qui est toujours sous la férule d'un Alan Moore absolument génial. Par la suite, Eric Stephenson et Chris Sprouse imaginent de nouvelles histoires pour les New Men et pour Youngblood, tandis que Rick Veitch réinvente Bloodstrike.
Cette nouvelle aventure éditoriale se poursuit bon an mal an durant quelques mois, mais au début de l'année 1997, Maximum Press est en bout de course. Nous verrons malgré tout dans un troisième article, un jour, que Rob Liefeld n'a pas tardé à rebondir. En France, c'est surtout Panini qui s'est intéressé à l'éditeur, en particulier à travers ses crossovers avec les personnages Marvel. Supreme et Darkchylde ont également été publiés en français. Une nouvelle fois, j'ai réussi à trouver tous les comics de l'éditeur.

Le bilan : 
A lire de toute urgence
Lady Pendragon (mars 1996)
Paru en VF chez SEMIC dans le magazine Lady Pendragon numéro 1
scénario : Matt HAWKINS
dessin : Hector GOMEZ
A la mort du roi Arthur, trahi par son chevalier Lancelot, sa veuve Guenièvre s'empare de la magique Epée du Lac. Accompagnée du fidèle Perceval, elle devient la première Lady Pendragon, qui n'aura de cesse que de lutter contre les manigances de Morgane et Mordred. Les récits autour du cycle arthurien sont nombreux, mais ce numéro unique est une suite originale et intéressante à la légende. Matt Hawkins aurait pu développer là une histoire intéressante, d'autant que le dessin classique d'Hector Gomez y colle à merveille.

Supreme : the New Adventures (octobre 1996, 6 épisodes)
Paru en VF chez Panini dans le magazine Supreme numéros 1 à 3
scénario : Alan MOORE
dessin : collectif
Suite à une étonnante réincarnation, Supreme reconstitue son passé et retrouve la plupart de ses anciens alliés et amis... Mais aussi les pires ennemis qu'il ait pu cotoyer, à commencer par le scientifique fou Darius Dax et ses créations. Suite directe du premier volume après sa bascule chez Maximum Press, cette nouvelle aventure nous entraîne avec nostalgie dans un univers qui n'est qu'un vaste hommage au genre. Supreme devient le chantre d'une époque révolue qu'Alan Moore veut splendide.

A feuilleter à l'occasion

The Adventures of the New Men (octobre 1996, 2 épisodes)
scénario : Eric STEPHENSON
dessin : Chris SPROUSE
Les New Men sont contraints de se reformer alors que plusieurs de leurs membres sont sous la menace de la Société de la Torche. Reign a en effet été victime d'une tentative d'assassinat, tandis que Bootleg a été enlevée et est retenue prisonnière. Prenant la suite directe de la fin de la précédente série, Eric Stephenson avance une histoire pleine de mystère et de morceaux de bravoure, que souligne avec le brio qu'on lui connait Chris Sprouse, nouvel artiste attitré. Hélas, la série s'arrête net suite aux déboires de Maximum Press.

Asylum (décembre 1995, 11 épisodes)
L'histoire "Death Kiss" est parue en VF, en supplément du magazine Comic Box
scénario et dessin : collectif
Avec l'aide de Preacher John, Cybrid poursuit à son tour les ninjas du Clan du Palais Calme, tout en cherchant à découvrir son passé. Dans une lointaine galaxie, les colons humains luttent contre la tyrannie des Cylons, tandis qu'à une échelle infiniment plus petite, Mr Spooks et les Beanstalk doivent eux aussi défendre leur domaine. Plus qu'une simple anthologie de séries issues de l'écurie Maximum Press, cette collection regroupe toutes sortes de récits, y compris le Beanworld de Larry Marder ou le Megaton Man de Don Simpson. La variété est donc de mise, mais comme souvent, il y a à boire et à manger.

Avengelyne Bible (octobre 1996)
scénario : Robert NAPTON
dessin : collectif
L'Avengelyne Bible détaille le récit que fait l'héroïne de son temps passé sur Terre, des amis qu'elle y a rencontré parfois de manière tout à fait fortuite ainsi que des nombreux ennemis qu'elle y a affronté, parmi lesquels son propre fils. Présenté à la manière d'un ouvrage liturgique, cet épisode spécial permet à Robert Napton de résumer les différentes apparitions de sa création, non seulement dans sa propre saga mais également lors des nombreux crossovers auxquels elle a pris part. Les illustrations sont pour la plupart satisfaisantes.

Battlestar Galactica : War of Eden (juillet 1995, 4 épisodes)
scénario : Rob LIEFELD et Robert NAPTON
dessin : Karl ALTSTAETTER et Hector GOMEZ
Après des années d'errance, le capitaine Apollo parvient à guider le Battlestar Galactica et sa flotte sur Terre, aidé par la technologie des Séraphins. Ce que les exilés découvrent est un monde vierge, sur lequel est planté une pyramide qui semble être un héritage de la Treizième Tribu. Robert Napton et Rob Liefeld redonnent vie à la légendaire série télévisée de science-fiction à travers une mini-série un peu grandiloquente mais enlevée et agréable à lire, d'autant que les dessins d'Hector Gomez sont efficaces, en dépit d'un certain classicisme.

Christian Special Edition (janvier 1996)
scénario : Robert Loren FLEMING et Rob LIEFELD
dessin : Dan FRAGA et Pop MHAN
Le roi de la pop Jelly Baxter organise une grande fête pour l'anniversaire de son rhinocéros, et il a engagé la redoutable Christian pour assurer sa sécurité ainsi que celles de ses jeunes convives. Mais le chasseur Zbigniew Gamenowski n'en a cure, et il est prêt à tout pour capturer l'animal. Pourtant assisté par Dan Fraga, Pop Mhan manque parfois de précision dans son dessin. Ceci étant, le récit nerveux de Robert Fleming et Rob Liefeld ne manque pas d'humour, et s'il ne prête pas à conséquence, il permet de passer un bon moment.

Glory / Angela (avril 1996)
scénario : Rob LIEFELD et Jim VALENTINO
dessin : Pat LEE et Andy PARK
Pour sauver l'âme de Celestine prisonnière de Malebolgia, sa consoeur Angela et la princesse amazone Glory vont traverser un à un les cercles de l'Enfer. Au bout de leur périple, elles feront une rencontre capitale, et feront face à une révélation fracassante. Admirable conclusion de l'arche narrative Rage of Angels, ce crossover est particulièrement bien écrit par Rob Liefeld et Jim Valentino, qui y dévoilent un coup de théâtre retentissant. Ajoutons que les deux artistes qui se partagent les planches font du bon travail.

Prophet / Cable (janvier 1997, 2 épisodes)
Paru en VF chez Panini dans le Marvel Crossover numéro 7
scénario : Rob LIEFELD
dessin : Rob LIEFELD, Marc PAJARILLO et Paul SCOTT
Les deux soldats intemporels, Cable qui vient du futur et Prophet du passé, vont devoir affronter Kang, afin de délivrer leurs deux amis et de récupérer le cube cosmique que le maître du temps et Crypt veulent utiliser à de sombres fins. Aussi surprenant que cela puisse paraître, la qualité est au rendez-vous de ce crossover cosmique. Rob Liefeld fournit de gros efforts pour paraître le plus régulier possible, et il est bien aidé par Marc Pajarillo. L'histoire est classique mais plaisante.

Youngblood Super Special (1997)
scénario : Eric STEPHENSON
dessin : Chris SPROUSE
Lors d'un exercice de formation des jeunes recrues du programme Bloodpool, le vaisseau de Youngblood est descendu en flammes et l'équipe se retrouve séparée, chaque membre livré à ses pires craintes. Qui sera capable de s'en sortir, et surtout, qui est derrière ce curieux stratagème ? On ne peut pas vraiment parler d'originalité, le concept ayant été largement interprété par différentes oeuvres de science-fiction, mais Eric Stephenson délivre une histoire efficace malgré tout. L'indéniable talent de Chris Sprouse fait le reste.

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