samedi 24 juin 2017

Quand Liefeld et talent ne sont pas incompatibles

Non, je ne suis pas monomaniaque. Il se trouve juste que je connais bien le parcours de Rob Liefeld, et si tant est qu'il y ait des grincheux dans l'assistance, si tant est qu'il y ait une assistance pour commencer, cet article sera le dernier consacré à sa personne. Bon OK, c'est surtout parce que je n'ai pas encore trouvé beaucoup de comics de sa quatrième maison d'édition, mais je ne désespère pas d'y parvenir un jour.


L'INSTANT VO (What else ?)
Chapitre 3 : Awesome Comics, à nos actes manqués
A peine quelques mois après sa démission forcée d'Image Comics et l'abandon de sa structure propre Maximum Press, Rob Liefeld revient avec un nouveau projet en tête. Il s'associe pour l'occasion à Scott Mitchell Rosenberg, jadis fondateur de Malibu Comics puis vice-prédisent exécutif de Marvel lorsque le géant racheta son petit concurrent, en 1994. Le duo va accoucher d'une nouvelle maison d'édition, qu'ils baptisent en toute modestie Awesome Comics. Mais nous allons voir que pour une fois, le titre n'est pas usurpé.

Tout commence par quelques numéros previews, distribués au départ dans les conventions de comics. On y découvrira au fur et à mesure des licences bien connues de Liefeld, comme Glory ou Supreme, mais aussi et surtout des franchises inédites, comme The Coven, Re:Gex ou Fighting American. Ce dernier a une histoire intéressante. Il faut savoir qu'à la fin de l'année 1996, Marvel Comics confie plusieurs de ses licences-phares, regroupées sous le label Heroes Reborn, à deux studios : le Wildstorm de Jim Lee et l'Extreme de Rob Liefeld. Les anciennes gloires de la maison, partis faire fureur en indépendant.

Lee hérite d'Iron Man et des 4 Fantastiques, Liefeld de Captain America et des Avengers. Mais suite à sa banqueroute, Marvel casse le deal, trop cher, et confie la fin de l'aventure à Jim Lee. Se sentant probablement trahi, le père Rob veut son propre héros patriote et se rapproche de Joe Simon et de la veuve de Jack Kirby. Les deux comparses avaient créé un clone de Cap dans les années 50, et c'est lui qui intéresse Liefeld. Mais l'accord est onéreux, et le fantasque éditeur préfère créer sa propre copie, Agent America. Devant la menace de poursuites, il reviendra sur son avis. Trois mini-séries Fighting American verront le jour chez Awesome, avec des fortunes diverses.
Mais le plus gros coup du studio, c'est la poursuite d'une collaboration fructueuse avec Alan Moore. Le Maître s'est vu confier les rènes de Supreme, qu'il a magnifiquement réinventé, et il poursuit sur sa lignée avec un magistral troisième volume, suivi d'une mini-série Supreme : the Return elle aussi de très haute volée. Il signe également le retour sur le devant de la scène de Glory, dont il reprend les origines mythologiques, mais cette aventure-là sera de courte durée puisque seul un épisode zéro verra le jour.
Mais Rob Liefeld veut aller plus loin. Si Moore a su faire de Supreme un chef d'oeuvre, pourquoi ne pas lui offrir TOUT un univers à rebâtir ? C'est chose faite avec le crossover Judgment Day (écrit comme ça), qu'il débute dès le mois de mai 1997 aux côtés de ses comparses Rick Veitch et Chris Sprouse. Présentée comme un whodunit lors d'un immense procès auquel assistent tous les super-héros, y compris le Savage Dragon du copain Larsen, qui aura une certaine importance au cours de l'histoire, la mini-série passe en revue toutes les licences de l'éditeur et aura des conséquences énormes sur leur devenir.

De là découlent en effet plusieurs séries d'importance. Un nouveau volume de Youngblood en premier lieu, lui aussi scénarisé par Alan Moore et dessiné par le trop rare Steve Skroce. L'auteur anglais passe l'équipe à la moulinette pour lui inventer un avenir moins grim 'n' gritty que ce qu'elle a connu jusque-là. Mais Awesome est bipolaire, parce qu'en parallèle, on trouve sous son étiquette un troisième volume de Chapel qui ne change guère de ce dont on a hélas pris l'habitude, ou encore une nouvelle version d'Avengelyne tout aussi ridicule que les précédentes.
Heureusement, il y a les nouvelles séries. Grand architecte de ce pan d'Awesome, Jeph Loeb est aux manettes de Ka-Boom !, une série rafraichissante inspirée par les mangas et dessinée par Jeff Matsuda, ou encore de The Coven ou Lionheart, sagas fantastiques toutes deux dessinées par Ian Churchill. Il aide aussi Rob Liefeld à scénariser sa nouvelle série, Re:Gex, mais le succès sera moindre, probablement à cause de la piètre qualité graphique de cette saga.

Durant trois ans, l'éditeur enchaîne aussi les numéros spéciaux : l'Awesome Holiday Special pour fêter Noël, l'Awesome Adventures consacré aux Youngblood, et qui devait être à l'origine une anthologie, ou encore l'Awesome Universe Handbook consacré aux travaux préliminaires d'Alan Moore sur les séries qu'il dirige. Sans compter un épisode spécial de Youngblood, offert avec le magazine de jeux vidéo Ultra Game Players et qui reprend, on ne sait pas trop pourquoi, une vieille histoire datant des tout débuts chez Image Comics.
Et puis il y a les titres annexes. John Stinsman, jadis protégé de Liefeld, développe la plaisante Scarlet Crush, tandis que l'actrice Jada Pinkett Smith propose la bien mal branlée Menace. Même le nanar Six-String Samurai est adapté en comics, et si l'on en croit les nombreux previews, d'autres titres étaient à prévoir, comme l''amusant SWAT ! de Dan Fraga ou la série The Century, qui devait être un peu l'équivalent de la J.L.A. chez Awesome.
Mais à la fin de l'année 1999, Rosenberg retire ses billes du projet Awesome Comics, et la maison d'édition ne lui survivra guère que quelques mois. Tout juste aura-t-on le temps de voir venir un nouveau volume de Brigade, l'équipe étant cette fois-ci composée d'exclus des Youngblod ou des New Men, de Kid Supreme ou encore des héros de Ka-Boom !, ainsi qu'une ultime aventure de Prophet, qui s'annonçait intéressante de par son cadre cyberpunk inédit.
Pour essayer de subsister, Awesome fusionne avec Hyperwerks, micro-éditeur fondé par Karl Altstaetter et Robert Napton notamment, et qui publiait dès 1997 une série au succès relatif, Deity. Deux mini-séries seront consacrées à l'héroïne, ainsi qu'un spin-off : l'histoire en quatre parties Catseye. En 1999, Hyperwerks présente également un sketchbook dédié à ses séries à venir, mais la suite en question aura lieu chez Image Comics, après l'échec de la fusion. Des années plus tard, Hyperwerks reviendra à l'auto-édition avec la mini-série Rostam.
Rob Liefeld a-t-il compris cette fois-ci qu'il était aussi mauvais gestionnaire qu'artiste ? Force est de constater que non si l'on poursuit sa rétrospective, mais l'échec d'Awesome Comics va tout de même le marquer quelques temps. En France, c'est une fois de plus Panini qui, cherchant à se diversifier, a traduit les meilleures oeuvres du studio. Notons tout de même la participation de TSC, l'éditeur originel du magazine Comic Box, qui avait édité sous couverture chromée un fascicule double comprenant le numéro zéro de la Glory d'Alan Moore et une partie de Re:Gex #0. Notez que je n'ai pas lu (car pas trouvé) quelques comics du studio :
- le one-shot Agent : America, peut-être retiré des linéaires suite à la plainte ?
- les Awesome Preview des éditions 1998 et 1999 du ComicCon
- la mini-série Rostam d'Hyperwerks, puisque j'en parle ici

Le bilan : 
A lire de toute urgence
Judgment Day (juin 1997, 3 épisodes + un Sourcebook & un Aftermath)
Paru en VF chez Panini en deux volumes
scénario : Alan MOORE
dessin : collectif
Riptide est morte, assassinée par Knightsabre. Du moins c'est ce que laissent entendre toutes les preuves. Le procès s'ouvre devant une foule de super-héros réunis pour l'occasion, et le pauvre avocat Skipper va avoir bien du mal à prouver l'innocence de son client. Alan Moore avait carte blanche pour redesigner l'univers Awesome. Il s'y est attelé de manière magistrale dans cette enquête hors norme, accompagné qu'il était par une pleïade de stars. Le résultat est un petit bijou qui balaie toutes les licences de l'éditeur.

Supreme : the Return (mai 1999, 6 épisodes)
Paru en VF chez Delcourt dans Supreme n°2
scénario : Alan MOORE
dessin : collectif
Darius Dax, l'éternelle Némésis de Supreme, est de retour, de terribles plans en tête et de nombreux alliés pour les mettre en place ! Parallèlement à cela, le héros, qui ne se doute encore de rien, finit par avouer à la fois sa double vie et son amour à sa bien-aimée Diana Dane. Alan Moore pousse encore un peu plus loin son concept et la série s'achève en apothéose ! Partant d'un simple clone de Superman, le personnage sera devenu le héros d'une oeuvre culte, uniquement grâce à sa reprise par l'un des auteurs majeurs de sa génération.

Supreme volume 3 (mai 1997, 9 épisodes)
Paru en VF chez Panini dans le magazine Supreme numéro 4, puis chez Delcourt
scénario : Alan MOORE
dessin : collectif
Les Alliés, qu'il a notamment cotoyé entre la seconde guerre mondiale et les années 60, sont désormais de retour. Grandement entouré, Supreme peut maintenant délaisser un peu les combats et se consacrer à sa vie privée, aux côtés de Diana Dane. La révélation de mi-parcours concernant la véritable origine de Supreme vaut à elle seule le détour. Il est incroyable de voir à quel point Alan Moore avait tout prévu dès les premières cases de sa reprise, qui plus est merveilleusement dessinée par une pléïade d'artistes.

A feuilleter à l'occasion

Awesome Universe Handbook (avril 1999)
scénario : Alan MOORE
dessin : Alex ROSS
La collection Awesome Universe Handbook devait à l'origine regrouper toutes les recherches d'Alan Moore concernant l'univers qu'il a aidé à bâtir pour le compte de Rob Liefeld, et les croquis préparatoires qui y sont associés. Au final, un seul numéro verra le jour, dédié à Supreme. Il est vraiment regrettable que cette série de sketchbooks n'ait pu se poursuivre, tant cet unique épisode est visuellement alléchant. Certes, on en apprend peu sur le processus créatif du Maître, mais les peintures d'Alex Ross sont renversantes.

The Coven (aout 1997, 6 épisodes + un Black & White et un Fantom Special)
Paru en VF chez Panini dans le magazine The Coven numéros 1 à 3
scénario : Jeph LOEB
dessin : Ian CHURCHILL
Deux équipes versées dans les sciences occultes, le Coven dirigé par Blackmass et le Pentad de son frère Grimoire, s'affrontent pour le gain d'un puissant artefact : le linceul de Cain, le premier des meurtriers. Au milieu de cette guerre fratricide, une jeune femme dépassée par les évènements, mais dotée de grands pouvoirs. Jeph Loeb propose une mini-série fort plaisante à suivre, tant pour son scénario plus ou moins versé dans l'ésotérisme, que par le traît si caractéristique et si plein de force de Ian Churchill. Néanmoins, le dernier tiers de la saga est plus confus.

Lionheart (aout 1999, 2 épisodes)
scénario : Ian CHURCHILL et Jeph LOEB
dessin : Ian CHURCHILL
Avec l'appui du gouvernement autrichien, Karen Quinn a découvert au fond d'un glacier un drakkar en parfait état, contenant une gemme avec qui elle va fusionner. Dès lors, elle obtient les pouvoirs de Lionheart, qui lui seront fort utiles pour affronter Blackheart. Dérivée de leur précédente oeuvre commune, la nouvelle mini-série de Jeph Loeb et Ian Churchill est très proche de sa grande soeur, tant de par sa thématique que dans sa représentation. Plutôt agréable, elle ne connaitra jamais de véritable fin.

Prophet volume 3 (mars 2000)
scénario : Rob LIEFELD et Robert NAPTON
dessin : Chad et Eric WALKER
Au trente-et-unième siècle, les Prophètes représentent l'autorité et la loi. Seul agent créé à partir de l'ADN du Jonathan Prophet original, Joanna Prophet a choisi la Terre comme secteur d'intervention, et elle doit y faire face aux pires rebuts de l'humanité. Sans aucun doute, la nouvelle orientation cyberpunk choisie par Rob Liefeld et Robert Napton promettait beaucoup. D'autant que le dessin des frères Walker lui donnait un cachet supplémentaire. Hélas, la banqueroute d'Awesome Entertainment signera la fin de l'aventure après un seul numéro.

Scarlet Crush (janvier 1998, 2 épisodes)
scénario et dessin : John STINSMAN

Membre de l'U.E.P., Icaria s'est assignée pour mission de sauver la vie du docteur Augustine Levine, contre l'aval de son gouvernement. Elle recrute Max Scorpio pour l'aider à accomplir sa tâche, qui se révèlera bien plus compliquée que prévu. Les hommages aux grandes oeuvres de la science-fiction se bousculent dans la série de John Stinsman, mais l'ensemble reste cohérent, et l'artiste semble avoir fait de gros progrès en matière de proportions. Hélas, le récit s'arrête net après deux épisodes.

Warrior Nun Areala / Glory (septembre 1997)
scénario et dessin : Ben DUNN

Rod McLarsen a obtenu le talent et la gloire à travers sa série de comics, mais il en veut plus encore, et pour cela n'hésite pas à pactiser avec les démons. Tout puissant, il s'en prend aux plus faibles, mais son attaque se voit contrée par Glory et la nonne guerrière Areala. C'est le président d'Antarctic Press en personne, Ben Dunn, qui donne corps à ce crossover éminemment sympathique entre les deux égéries. Pastiche doux-amer de l'univers du comics, il démontre une nette amélioration dans le dessin de son auteur.

Youngblood volume 3 (février 1998, 2 épisodes + un épisode spécial)
scénario : Alan MOORE
dessin : Steve SKROCE

Nouvellement reformée sous la houlette de Shaft et désormais sans contrat gouvernemental, l'équipe de Youngblood doit faire face à des adversaires puissants et ô combien dangeureux, au premier rang desquels une vieille connaissance... Aussi courte fut-elle, cette nouvelle itération de l'équipe, signée du grand Alan Moore, avait le mérite d'apporter un peu de sang frais à la franchise. Les dessins de Steve Skroce dégageaient en outre puissance et fluidité de mouvement.

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